L’histoire de Fabienne c’est l’histoire de son accident. C’était il y a 10 ans, 15 ans … ? Fabienne ne se souvient pas trop mais en tout cas elle garde en mémoire que : « c’était bête. C’était en décembre. Un arbre. Coupés en deux.» Coupée ? «Oui tout. Moi. La voiture. L’arbre….»
Après un an de soin intensif, Fabienne est paralysée «du bas jusqu’en haut» et vit désormais dans un fauteuil roulant. Seuls les bras et la tête fonctionnent, elle parle dans un souffle rauque très bas. Mais elle est là, elle écoute et participe.
Les années passant la charge pour la famille, son mari et ses trois enfants, n’est plus gérable à domicile, aussi depuis 2 ans elle vit aujourd’hui à 68 ans dans l’EHPAD nom ? de Compiègne.
Entourée de personnes beaucoup plus âgées et beaucoup moins valides qu’elle, elle ne désire qu’une chose descendre boire des cafés dans le hall ou sortir, prendre l’air et manger des gâteaux…. Alors si des gens peuvent venir la voir, c’est un vrai bonheur ! Et Madame Larue, Yvonne, fait partie de ce bonheur.
Yvonne, à 90 ans, est une petite femme très soignée, élégante. Elle avait bien besoin de quelqu’un qui l’aide à porter «ses paquetons, ses grosses courses»… Alors munie d’un flyer déposé dans sa boîte aux lettres, elle se rend à la mairie pour chercher une information… Et c’est comme ça que quelqu’un qui a besoin d’aide devient une personne qui donne également !
C’est Fabrice de Bip Bop qui en premier l’aide pour les courses et ensuite les présente l’une à l’autre pour des visites de convivialité. Elles se connaissaient déjà, mais de loin quand jeune, Yvonne emmenait sa fille à l’école et la maman de Fabienne les siennes … Les familles vivent à Compiègne depuis toujours. La mère de Fabienne a le même âge qu’Yvonne, et Fabienne le même que celle de la fille d’Yvonne.
Entre elles le courant est passé tout de suite et une relation presque filiale s’est développée. Fabienne dit même avec un grand sourire et un regard tendre «on s’est aimé tout de suite».
Vous vous voyez toutes les semaines ?
(F) – Oui toutes les semaines
(Y) – ça dépend des jours, des fois je viens le lundi, des fois je viens le mercredi, des fois le jeudi et quand je m’en vais elle me dit «tu reviens demain ?
Ça vous apporte beaucoup ces visites ?
(Y) – bè oui elle est heureuse
(F) – oui je suis contente
(Y) – Oui. On discute, on se promène dans les couloirs, mais moi je la sors pas je prends pas cette responsabilité. Dès que j’arrive elle me demande de la descendre pour boire un café. Et quand c’est pas deux ou trois, ou quatre !
Fabienne acquiesce, un sourire dans les yeux. Les rôles mère-fille sont acceptés, le partage se fait dans une grande complicité qui va au-delà d’une simple visite formelle.
Yvonne vient depuis 2 ans, une fois par semaine, le mercredi généralement … Un peu en fonction de ses autres visites. Sa mère et ses sœurs, au nombre de six, viennent de temps en temps le mardi, et une autre dame vient aussi pour la sortir le lundi. Fabienne aimerait que ça soit tous les jours…
Car Fabienne, malgré sa paralysie, aime se sentir libre, partir manger des gâteaux, des glaces, traîner dans la rue …. Avant elle aimait les fêtes, danser…
Et donc oui, souvent, elle sort. Toute seule… ! Au grand dam d’Yvonne qui la gronde comme une enfant :
(Y) – « Et oui elle veut toujours aller quelque part, elle est toujours en train de trainer. (…) Sa chambre elle connaît pas, juste pour dormir.
(F) – Hihi. Je supporte pas d’être enfermée.
(Y) – Mais ma petite chérie tu es obligée. Qui veux tu qui s’occupe de toi ? Où veux tu aller ? Bè oui tu te promènes à 9H30 du soir, dans le noir, c’est pas grave ?! Et si il y quelqu’un qui te prend dans la rue, qui t’emmène… t’as pas peur ?!
(F) – Hihi
(Y) – Quelle chipie !!
C’est un rapport tendre et complice avec beaucoup de franchise qui s’est installé entre elles deux. Comme si ces deux femmes faisaient front ensemble face au handicap et à la solitude. Yvonne s’est toujours occupée des autres, aide-soignante pendant 40 ans à l’hôpital de Compiègne, elle a l’habitude d’être là et d’écouter.
Alors à 90 ans elle continue, car elle aussi n’aime pas rester toute seule chez elle. Elle aime sortir, voir du monde, faire son marché, se promener…. L’aide et l’entre-aide s’imbriquent ainsi pour construire une histoire où chacune se sent utile et en quelque sorte, bien vivante !